Lorsqu’on parle d’alimentation, la première chose qui nous vient à l’esprit est généralement l’acte de manger, autrement dit les repas. Rapidement, on pense également aux agriculteurs, dont le travail a permis aux produits que nous mangeons de voir le jour. Éventuellement, on pense aussi aux marchés, épiceries et grandes surfaces où nous avons l’habitude de faire nos courses. Production, distribution, consommation. Agriculteurs, commerçants, mangeurs. Différents maillons d’un ensemble complexe d’interactions, qui permet à nos sociétés de s’alimenter : le système alimentaire. Ce dernier est cependant loin de se limiter aux trois éléments que nous venons d’évoquer !
La fabrication d’un panier de légumes bio
Prenons un exemple simple : un panier de légumes bio acheté au marché, directement à la productrice. Pour venir vendre ses légumes, la maraîchère a utilisé sa fourgonnette, du carburant, et un réseau routier adapté. Une partie de sa production, récoltée il y a plus d’un mois, a dû être stockée dans un local dédié à cet usage. Au quotidien, la maraîchère utilise différents outils (binette, bêche, brouette, sécateur, semoir) et machines (pompe, tracteur, motoculteur) qu’elle a achetés à des fournisseurs spécialisés et qui nécessitent, pour les machines, carburant ou électricité. De même pour tout un tas de matériel indispensable à la bonne conduite de ses cultures : terreau pour les semis, bâches couvre-sol, filets de protection, tuyaux d’irrigation… Notre maraîchère utilise de temps en temps des produits phytosanitaires comme de la bouillie bordelaise ou du Bt (Bacillus thuringiensis), qu’elle s’est procurés à la coopérative locale. Bien qu’elle produise elle même une partie de ses semences, elle achète la plupart de ses graines et de ses plants directement à des pépiniéristes. Enfin, entre deux cultures, elle apporte de l’engrais au sol sous forme de fumier de cheval qu’elle récupère chez un voisin. L’innocente salade mâche-betterave-navet qu’on mange en revenant du marché, a donc pu arriver dans notre assiette grâce à ces multiples interactions entre différents acteurs spécialisés. Et son histoire n’est pas terminée, car une fois les nutriments des légumes ayant transité dans notre intestin, notre sang et nos organes, nous excrétons les éléments chimiques qui les composent par nos selles et nos urines. La gestion et le devenir de ces nutriments (azote, phosphore, potassium…) font aussi partie de la question de l’alimentation. On commence à entrevoir la complexité de ce à quoi peut ressembler un système alimentaire.
Mais tout ça n’est rien comparé au yaourt à la fraise acheté en grande surface !
Commençons par rassembler tous les ingrédients nécessaires à sa fabrication : Yaourt (lait écrémé, poudre de lait écrémé, crème, ferments lactiques), fraises, sucre, jus de carotte, amidon transformé de maïs, arômes, épaississants (gomme de guar, carraghénanes)[1].
Ingrédient de base du yaourt, le lait provient d’une ferme de 150 Prim’Holstein. Les vaches sont nourries avec de l’herbe et du maïs cultivés sur l’exploitation et des tourteaux de soja importés du Brésil. Le lait est collecté grâce à une trayeuse électrique puis acheminé en camions-citernes isothermes à la laiterie où il est pasteurisé, écrémé et éventuellement déshydraté. Lait écrémé, poudre de lait et crème sont ensuite transportés à l’usine de fabrication de yaourts où a lieu l’ensemencement avec les ferments lactiques.
Les fraises sont cultivées sous serres dans le sud de l’Espagne et transportées dans des camions frigorifiques.
Le sucre est issu du raffinage de betteraves sucrières dans une sucrerie de la Beauce. Cette usine est alimentée par les cultures locales de betteraves.
Le jus de carotte est produit lui aussi en France, dans une autre usine de transformation.
L’amidon transformé de maïs est un agent de texture. Il est produit industriellement dans une amidonnerie en soumettant les grains de maïs à différents procédés chimiques et mécaniques.
Les arômes sont synthétisés dans une unité de chimie fine à partir de molécules organiques fossiles ou dérivées de la biomasse.
Enfin, les épaississants sont extraits industriellement de produits végétaux : une légumineuse cultivée en Inde pour la gomme de guar et des algues rouges cultivées aux Philippines pour les carraghénanes.
Au total, plus d’une dizaine d’espèces végétales, animales et microbiennes, provenant de trois ou quatre continents, sont donc impliquées dans la fabrication de notre yaourt à la fraise. Chacune de ces productions est elle-même issue d’un système d’une complexité au moins équivalente à celle de la ferme maraîchère de notre premier exemple : matériel agricole plus ou moins spécialisé, engrais minéraux et organiques, produits phytosanitaires, semences, dispositifs d’irrigation…
Vient ensuite l’usine de transformation dans laquelle de multiples machines permettent d’assembler et de mélanger les ingrédients, de conditionner le produit fini dans des pots de plastiques issus de la pétrochimie, et d’emballer le tout dans des cartons plastifiés bariolés de colorants de synthèse. Des systèmes de réfrigération permettent de respecter la chaîne du froid depuis l’usine de transformation jusqu’au domicile du consommateur, en passant par les véhicules de transport et les rayons du supermarché.
Bien entendu, des étapes de transport ont lieu à tous les niveaux, depuis le porte-conteneurs permettant au soja de traverser l’Atlantique, jusqu’à la voiture du client du magasin. Et bien entendu, toutes ces usines, ces machines, ces moyens et infrastructures de transport ou de stockage consomment de l’énergie et des matières premières, et sont fabriqués par des constructeurs spécialisés.
Derrière notre banal yaourt à la fraise, se cache donc l’immense complexité du système alimentaire largement prédominant dans notre société occidentale aujourd’hui, que l’on pourrait qualifier de système alimentaire industrialisé. (Source : Les Greniers d'Abondance / Felix Lallemand)